La
population sourde en Tunisie est peu connue et les données épidémiologiques et démographiques
restent insuffisantes :
-
Dans le monde : environ 5.5% de déficit auditif.
-
En Afrique: au moins 1% de déficit auditif sévère à
profond
-
En Tunisie : environ 6 % de déficience auditive ce qui suppose 15 000 sourds potentiels
locuteurs de la langue des signes tunisienne ayant pour la majorité peu d’accès
à la lecture et l’écriture. A noter que les organisations de personnes sourdes rapportent un chiffre de 60 000 personnes porteuses d'un handicap auditif.
La population sourde communique via la langue des signes tunisienne (LST) qui est reconnue dans des textes de loi depuis 2006.
Pour
les personnes sourdes ou malentendantes, les modalités d’accès aux soins, dans
le secteur public ou privé, se passent dans un milieu non adapté à la personne
sourde (salle peu éclairée, médecin ou professionnel de santé,
méconnaissant la LST, débordé et qui n’accorde pas assez de temps au patient
sourd) ce qui implique une mauvaise prise en charge des affections des
personnes sourdes, ou encore, une mauvaise conformité aux prescriptions
médicales lors de l’accès aux soins.
En plus,
les consultations se passent généralement en présence d’une tierce personne ce
qui impacte le secret médical et peut poser problème quand il s’agit d'infections
sexuellement transmissibles ou de pathologies se rapportant à des sujets
socialement jugés tabous.
Là
où des consultations en langue des signes se sont ouvertes (France, Uruguay..),
des recherches spécifiques ont pu être menées et tous les indicateurs montrent
avant la création de ces consultations, un niveau de soins inférieur à celui de
la population du pays. On peut supposer qu'il en est de même en Tunisie.
La
consultation pilote en LST en Tunisie, première et unique en Afrique du Nord et
au Moyen Orient, a été pensée et conçue
suite à la prise de conscience que la LST est un enjeu majeur pour l’accès des
sourds aux services de santé et vient de
souffler sa première bougie :
Tout commence en 2008 où il y a
eu le recrutement de 3 interprètes dans 3 hôpitaux du grand Tunis suite à la
demande des associations des personnes sourdes. Cependant, ils occupaient des
postes administratifs et la population sourde n'a pas bénéficié de leurs
services.
Au cours de cette même période, un groupe
d’étudiants de la faculté de médecine de Tunis a initié un club pour
l’apprentissage de la LST, pendant 3 ans (convention entre l’AVST[1] et la Faculté de Médecine de Tunis). Le niveau atteint n’était
pas élevé mais plusieurs étudiants devenus de jeunes médecins ont été
sensibilisés aux besoins de la population sourde et motivés pour une utilisation
professionnelle de la LST.
A la révolution tunisienne, une réflexion sur les droits, l’accès
et la citoyenneté a été mise en avant dans un élan révolutionnaire, une ivresse
du tout possible, le Rêve Tunisien…
En 2012, les sourds ont mis en
avant la question de l'accès aux soins en langue des signes comme une question
prioritaire. Ils ont organisé une semaine de conférences et réflexions sur ce
thème en invitant Sources (association à l'origine de la création de la
première consultation en langue des signes à La Salpêtrière – Paris en 1995).
En 2013, soit une année après, ont commencé les premières réflexions communes entre la Faculté de médecine de
Tunis, l’AVST, la Direction régionale santé de Tunis, Sources et Handicap
International sur un service de santé inclusif pour les personnes sourdes.
En janvier 2016, la
direction régionale de la santé de Tunis a impulsé l'ouverture de la
consultation pilote en LST, au centre
de santé de Djebel Lahmar à
El Omrane (Tunis), un projet petit mais ambitieux qui offre plusieurs
services (Consultation de médecine générale, Consultation par une
sage-femme, Vaccination, Infirmerie, Pharmacie, Orthophonie, Kinésithérapie,
Psychologie). Une formation en LST visant l'équipe soignante a été lancée de
façon concomitante, créant une dynamique collective constructive.
Des financements extérieurs ont permis de développer cette
consultation :
-
en octobre 2016 :
Formation d'un médiateur sourd à Aix Marseille Université (Sources).
- en novembre 2016 : financement
de 12 000 TND par le Service de Coopération et d’Action Culturelle de
l’Ambassade de France en TUNISIE au bénéfice de l’AVST
Une année après, une évaluation a retrouvé les résultats suivants :
-
Les consultants sourds viennent
de quartiers éloignés ;
-
L’indication de l’adresse
et du trajet à suivre pour consulter étaient et restent encore un défi pour
les personnes sourdes ;
- Suite aux consultations
de médecine générale, il y a parfois un besoin d'investigation ou de références,
pour lesquels les sourds sont adressés aux structures correspondantes (Centres
Hospitaliers Universitaires) et généralement accompagnés par l'interprète ;
-
En une année, 56 personnes
sourdes ont consulté. Ce chiffre paraît faible mais s'avoisine à celui observé
lors de la première année en 1995 à Paris et en 2012 en Uruguay. Le développement
en Tunisie est imprévisible pour cette activité novatrice, mais on pourrait
s’attendre à 200 à 250 patients par an, dans les 3 ans à venir.
Même si ce projet semble de petite envergure avec peu d’impact
au jour d’aujourd’hui, il a néanmoins des atouts indéniables ; les moyens matériels sont modestes mais la chaleur humaine
et l'engagement sont remarquables.
Ce projet permet également
à l’AVST, un apprentissage de terrain de la collaboration avec un vis-à-vis
institutionnel avec une nette acquisition d’autonomie et une
réelle mobilisation de nombreux membres volontaires pour accompagner les
consultants, et participer aux actions de prévention.
Via la composante
sensibilisation santé, une collaboration avec d’autres associations thématiques
a vu le jour, avec l’aide de la DMSU[2] pour des sensibilisations des jeunes sourds.
La pérennisation du dispositif est désormais l'objectif central.
Aujourd'hui, le 24 Février 2018, la directrice générale santé Madame Nabiha Falfoul Borsali a signé la convention de collaboration avec le président de l'AVST, Mr Rechid Hechmi.
La
signature de la convention entre le Ministère de la Santé et l'AVST est la
preuve de l'engagement de la Tunisie pour l’amélioration de la qualité de vie
et la restauration de la dignité des citoyens dans le large cadre d'une démarche vers la justice sociale et la
non-discrimination, ainsi qu'une étape de plus vers la concrétisation de
l'accès universel aux services de santé.
Ceci s’inscrit dans une volonté de l’état à mettre en application l’article 48 de la constitution sur le droit à la santé, mais également souligne un engagement vers l’inclusion des personnes en situation de handicap comme mentionné dans l’article 48 de la constitution et l’article 24 de la CRDPH ratifiée par la Tunisie en 2008.
Le chemin déjà parcouru est satisfaisant et l’implication
du ministère de la santé comme pionnier dans l'accès des personnes sourdes à
leurs droits est un exemple à suivre pour les autres ministères pour assurer un
accès réel aux droits humains.
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