L’amélioration
de la qualité de vie et la restauration de la dignité des citoyens entrent dans
le large cadre de la démarche politique tunisienne en cours qui vise la justice sociale et la non-discrimination.
Le
contexte socio-politique en Tunisie devient de plus en plus centré sur le bien être du citoyen. Cela est visible dans la place de ce dernier et l’impact
de la mobilisation citoyenne à travers les ONG ou les réseaux sociaux mais également via des initiatives
telles que le dialogue sociétal sur la santé.
Malgré
la grande mobilisation, ce dialogue n'a pas impliqué les personnes handicapées.
Les jeunes organisations et d'autres plus anciennes (en cours de
restructuration) ont été plutôt mobilisées
à inscrire les droits des personnes handicapées dans la constitution (article
48) et à engager des partis politiques et les candidats aux présidentielles autour
d'un Pacte, "le pacte tunisien des
droits des personne handicapés". Plus de 171 députés élus sont issus de
partis qui ont signé le pacte, qui a été également signé par le candidat à la
présidentielle élu en décembre. Le président du gouvernement lui-même a souligné,
lors de son discours pour obtenir la confiance du parlement, son engagement à
respecter ce pacte.
Le
pacte engage l’état à favoriser l'accès des personnes handicapées aux services.
Or beaucoup d'obstacle se dressent face à
cet accès.
Parmi
ces obstacles, la communication et l'accès à l'information. Face à cette
difficulté, les personnes sourdes sont parmi les personnes les plus vulnérables,
car le manque de communication. rendt très difficile leur accès à l’éducation, à la formation professionnelle,
aux service de l'emploi, à la culture , aux médias etc... De ce fait, les personnes sourdes et malentendantes
représentent une population peu visible puisque la difficulté de communication
et un environnement peu adapté à leurs différences les poussent à l'isolement
Ces
mêmes obstacles se dressent aussi devant leur accès à la santé. Or, le droit à la santé est un droit humain
fondamental dans ses dimensions physiques, mentales et sociales[1]. Les personnes sourdes n’ont pas accès aux
multiples informations sonores et écrites sur la santé, (80 % seraient illettrées
et possèdent un bagage culturel plus pauvre que les entendants) et n’ont pas
accès par exemple aux campagnes de prévention.
Le
sujet de la prise en charge médicale des personnes sourdes a toujours existé
mais n’a jamais été identifié comme problème de santé publique. La population
sourde en Tunisie est peu connue et les données
épidémiologiques et démographiques restent insuffisantes. Dans le monde,
plus de 360 millions de personnes (environ 5.5% de la population) souffrent de
déficit auditif1. La fréquence de ces atteintes est particulièrement
importante en Afrique sub-Saharienne et en Asie. Même si les données
épidémiologiques restent très limitées, on estime qu’au moins 1% de la
population africaine est affectée par un déficit auditif sévère à profond
(perte ≥60dB)2
ce qui représente une minorité importante.
En Tunisie selon une étude[2]
en zone urbaine et rurale, environ 6 % de la population tunisienne a une déficience
avérée dont X% atteints de surdité
sévère.
La
population sourde potentiellement locutrice de la langue des signes
représenterait donc 160500
personnes. Même si on manque d’informations, l’étude de terrain a montré qu’il
existe des villages de sourds (surdité héréditaire) en Tunisie (1 village au
Cap Bon : Borj Salhi et 1 village au Sud : Douz.
L'accès
des enfant sourds à la langue des signes reste peu formelle. Les enfants sourds
sont scolarisés pour la plus part dans des structures oralistes où les
professionnels ne sont pas formés à la langue des signes et où il ne semble pas
(ou très peu) y avoir de professionnels sourds.
Au total, on peut avancer l’hypothèse basse de 15 000 sourdspotentiels
locuteurs de la langue des signes tunisienne ayant pour la majorité peu d’accès
à la lecture et l’écriture. Ceci occasionne des difficultés en termes de
communication et d’interaction dues à une méthode éducative non adaptée.
La population sourde communique via la langue des signes
tunisienne (LST). Le terrain tunisien est un terrain linguistiquement
hétérogène : la LST contient des signes locaux, ainsi que des signes en
langue des signes française, américaine arabe…
La
langue des signes tunisienne est malgré tout, reconnue dans des textes de loi
depuis 2006. Un dictionnaire de la langue des signes tunisienne existe (signiaire)
mais reste à compléter puisque cette langue n'a pas encore été utilisée dans la sphère soignante.
Il existe de la part des personnes sourdes beaucoup d’incompréhension et de
malentendus vis-à-vis des thèmes relatifs à la santé, ainsi qu'une
méconnaissance de la physiologie humaine et notamment du corps humain (par
exemple, un mécanisme tel que la circulation sanguine n'est pas toujours assimilé).
Il
existe des études supérieures en langue des signes en Tunisie. Les étudiants
qui suivent ce parcours universitaires accèdent à un diplôme d’interprète après
3 ans d’études.
En
2008, le ministère de la santé a fait un concours de recrutement de 3 interprètes
qui travaillent maintenant dans 3 hôpitaux de Tunis. Les trois interprètes occupent des postes administratifs : leurs
compétences linguistiques ne sont donc pas exploitées.
En
2008, un club d’étudiants à la Faculté de Médecine de Tunis, a organisé des
cours de LST. Le niveau atteint n’est pas élevé mais plusieurs étudiants
devenus de jeunes médecins sont motivés pour une utilisation professionnelle de
la LST.
En
2010, des actions de prévention contre le cancer du sein et la formation de
pairs sourds ont été réalisées par les associations de personnes sourdes.
En
2012 les sourds ont mis en avant la question de l'accès aux soins en langue des
signes. Ils ont organisé une semaine de conférences et réflexions sur ce thème.
En
2014, des séances de sensibilisation sur divers sujets liés à la santé ont été
lancées par l'association La voix des sourds avec la collaboration d’un médecin
pratiquant la langue des signes.
Les
personne sourdes tunisiennes expriment une frustration face à la
non-participation aux différents évènements sociaux en général et un enthousiasme pour acquérir leurs droits en
général et le droit à des soins de qualité surtout, via utilisation de la
langue des signes tunisienne.
En
Tunisie, les personnes sourdes fréquentent plus les hôpitaux privés que les
hôpitaux publics. En effet, la consultation dans les structures publiques, se
passe généralement dans un milieu non adapté à la personne sourde ; salle
peu éclairée, médecin ou professionnel de santé, débordé et qui n’accorde pas
assez de temps au patient sourd. Ce dernier n’arrive donc pas à communiquer ni à comprendre la procédure et
les prescriptions. Ceci pousse la population sourde à consulter dans le secteur
privé quand la personne en a les moyens financiers qui offrirait un meilleur
cadre d'accueil.
Pour
les personnes sourdes ou malentendantes, les modalités d’accès aux soins, dans
le secteur public ou privé, se fait généralement via l’aide de leurs proches
souvent mères ou sœurs. La consultation se passe en présence d’une tierce
personne ce qui impacte le secret médical et peut poser problème quand il
s’agit de maladies sexuellement transmissibles ou de pathologies se rapportant
à des sujets socialement jugés tabous.
L’ignorance
et la méconnaissance de la langue des signes par la société et le personnel
soignant pourraient être responsables du manque d'accès des personnes sourdes
aux informations de prévention et de sensibilisation dans le domaine de la
santé à cause de leur exclusion des grandes campagnes médiatiques de lutte
contre les maladies endémiques (campagnes de vaccination, de lutte contre le
VIH, …), d’une mauvaise prise en charge
des affections des personnes sourdes, ou encore, d’une mauvaise conformité aux
prescriptions médicales lors de l’accès aux soins.
Ces
paramètres font probablement
multiplier chez ces populations le taux de morbidité et le taux de mortalité.
Là où des consultations en langue des signes se sont ouvertes (France,
Uruguay..), des recherches spécifiques ont pu être menées et tous les
indicateurs montrent avant la création de ces consultations, un niveau de soins
inférieur à celui de la population du pays. On peut supposer qu'il en est de
même en Tunisie.
L'absence
de communication en langue des signes dans les services médicaux,
principalement publiques, restreint l'accès aux soins aux personnes sourdes à
la santé et en limite la qualité et l'efficience.
Cette
absence de communication résulte du manque de corps médicaux et paramédicaux
formés en langue des signes et de la faible mise à disposition des interprètes
en langue des signes pour les consultations.
La
faible implication des associations des personnes handicapées dans la
problématique et le pauvreté de vocabulaire médical dans les langues des signes
pratiquée complique la situation
Enfin
cette problématique reste peu connue des pouvoir publics malgré son impacte sur
la qualité de vie et les droits des personnes sourdes. Cette situation renforce
l'invisibilité générale de cette population.
1. WHO.
Deafness and hearing loss. Fact sheet N°300. 20152015).
2. Stevens G, Flaxman S, Brunskill E, Mascarenhas M,
Mathers CD, Finucane M. Global and regional hearing impairment prevalence: an
analysis of 42 studies in 29 countries. European journal of
public health 2013; 23(1): 146-52. OMS 1948