lundi 30 mai 2016

Surdité et accès aux services de santé




L’amélioration de la qualité de vie et la restauration de la dignité des citoyens entrent dans le large cadre  de la démarche politique tunisienne en cours qui vise la justice sociale et la non-discrimination.
Le contexte socio-politique en Tunisie devient de plus en plus centré sur le bien être du citoyen. Cela est visible dans la place de ce dernier et l’impact de la mobilisation citoyenne à travers les ONG ou les réseaux sociaux  mais également via des initiatives telles que le dialogue sociétal sur la santé.
Malgré la grande mobilisation, ce dialogue n'a pas impliqué les personnes handicapées. Les jeunes organisations et d'autres plus anciennes (en cours de restructuration)  ont été plutôt mobilisées à inscrire les droits des personnes handicapées dans la constitution (article 48) et à engager des partis politiques et les candidats aux présidentielles autour d'un Pacte, "le pacte tunisien  des droits des personne handicapés". Plus de 171 députés élus sont issus de partis qui ont signé le pacte, qui a été également signé par le candidat à la présidentielle élu en décembre. Le président du gouvernement lui-même a souligné, lors de son discours pour obtenir la confiance du parlement, son engagement à respecter ce pacte.
Le pacte engage l’état à favoriser l'accès des personnes handicapées aux services. Or beaucoup d'obstacle se dressent face à  cet accès.
Parmi ces obstacles, la communication et l'accès à l'information. Face à cette difficulté, les personnes sourdes sont parmi les personnes les plus vulnérables, car le manque de communication. rendt très difficile leur accès  à l’éducation, à la formation professionnelle, aux service de l'emploi, à la culture , aux médias etc... De ce  fait, les personnes sourdes et malentendantes représentent une population peu visible puisque la difficulté de communication et un environnement peu adapté à leurs différences les poussent à l'isolement
Ces mêmes obstacles se dressent aussi devant leur accès à la santé.  Or, le droit à la santé est un droit humain fondamental dans ses dimensions physiques, mentales et sociales[1]. Les personnes sourdes n’ont pas accès aux multiples informations sonores et écrites sur la santé, (80 % seraient illettrées et possèdent un bagage culturel plus pauvre que les entendants) et n’ont pas accès par exemple aux campagnes de prévention.
Le sujet de la prise en charge médicale des personnes sourdes a toujours existé mais n’a jamais été identifié comme problème de santé publique. La population sourde en Tunisie est peu connue et les données  épidémiologiques et démographiques restent insuffisantes. Dans le monde, plus de 360 millions de personnes (environ 5.5% de la population) souffrent de déficit auditif1. La fréquence de ces atteintes est particulièrement importante en Afrique sub-Saharienne et en Asie. Même si les données épidémiologiques restent très limitées, on estime qu’au moins 1% de la population africaine est affectée par un déficit auditif sévère à profond (perte 60dB)2 ce qui représente une minorité importante.

En Tunisie selon une étude[2] en zone urbaine et rurale, environ 6 % de la population tunisienne a une déficience  avérée dont X% atteints de surdité sévère.
La population sourde potentiellement locutrice de la langue des signes représenterait donc  160500  personnes. Même si on manque d’informations, l’étude de terrain a montré qu’il existe des villages de sourds (surdité héréditaire) en Tunisie (1 village au Cap Bon : Borj Salhi et 1 village au Sud : Douz.
L'accès des enfant sourds à la langue des signes reste peu formelle. Les enfants sourds sont scolarisés pour la plus part dans des structures oralistes où les professionnels ne sont pas formés à la langue des signes et où il ne semble pas (ou très peu) y avoir de professionnels sourds.  Au total, on peut avancer l’hypothèse basse de 15 000 sourds potentiels locuteurs de la langue des signes tunisienne ayant pour la majorité peu d’accès à la lecture et l’écriture. Ceci occasionne des difficultés en termes de communication et d’interaction dues à une méthode éducative non adaptée.
La population sourde communique via la langue des signes tunisienne (LST). Le terrain tunisien est un terrain linguistiquement hétérogène : la LST contient des signes locaux, ainsi que des signes en langue des signes française, américaine arabe…
La langue des signes tunisienne est malgré tout, reconnue dans des textes de loi depuis 2006. Un dictionnaire de la langue des signes tunisienne existe (signiaire) mais reste à compléter puisque cette langue n'a pas  encore été utilisée dans la sphère soignante. Il existe de la part des personnes sourdes beaucoup d’incompréhension et de malentendus vis-à-vis des thèmes relatifs à la santé, ainsi qu'une méconnaissance de la physiologie humaine et notamment du corps humain (par exemple, un mécanisme tel que la circulation sanguine n'est pas toujours assimilé).
Il existe des études supérieures en langue des signes en Tunisie. Les étudiants qui suivent ce parcours universitaires accèdent à un diplôme d’interprète après 3 ans d’études.
En 2008, le ministère de la santé a fait un concours de recrutement de 3 interprètes qui travaillent maintenant dans 3 hôpitaux de Tunis. Les trois interprètes  occupent des postes administratifs : leurs compétences linguistiques ne sont donc pas exploitées.
En 2008, un club d’étudiants à la Faculté de Médecine de Tunis, a organisé des cours de LST. Le niveau atteint n’est pas élevé mais plusieurs étudiants devenus de jeunes médecins sont motivés pour une utilisation professionnelle de la LST.
En 2010, des actions de prévention contre le cancer du sein et la formation de pairs sourds ont été réalisées par les associations de personnes sourdes.
En 2012 les sourds ont mis en avant la question de l'accès aux soins en langue des signes. Ils ont organisé une semaine de conférences et réflexions sur ce thème.
En 2014, des séances de sensibilisation sur divers sujets liés à la santé ont été lancées par l'association La voix des sourds avec la collaboration d’un médecin pratiquant la langue des signes.
Les personne sourdes tunisiennes expriment une frustration face à la non-participation aux différents évènements sociaux en général et un  enthousiasme pour acquérir leurs droits en général et le droit à des soins de qualité surtout, via utilisation de la langue des signes tunisienne.
En Tunisie, les personnes sourdes fréquentent plus les hôpitaux privés que les hôpitaux publics. En effet, la consultation dans les structures publiques, se passe généralement dans un milieu non adapté à la personne sourde ; salle peu éclairée, médecin ou professionnel de santé, débordé et qui n’accorde pas assez de temps au patient sourd. Ce dernier n’arrive donc pas  à communiquer ni à comprendre la procédure et les prescriptions. Ceci pousse la population sourde à consulter dans le secteur privé quand la personne en a les moyens financiers qui offrirait un meilleur cadre d'accueil.
Pour les personnes sourdes ou malentendantes, les modalités d’accès aux soins, dans le secteur public ou privé, se fait généralement via l’aide de leurs proches souvent mères ou sœurs. La consultation se passe en présence d’une tierce personne ce qui impacte le secret médical et peut poser problème quand il s’agit de maladies sexuellement transmissibles ou de pathologies se rapportant à des sujets socialement jugés tabous.
L’ignorance et la méconnaissance de la langue des signes par la société et le personnel soignant pourraient être responsables du manque d'accès des personnes sourdes aux informations de prévention et de sensibilisation dans le domaine de la santé à cause de leur exclusion des grandes campagnes médiatiques de lutte contre les maladies endémiques (campagnes de vaccination, de lutte contre le VIH, …),  d’une mauvaise prise en charge des affections des personnes sourdes, ou encore, d’une mauvaise conformité aux prescriptions médicales lors de l’accès aux soins.
Ces paramètres font probablement multiplier chez ces populations le taux de morbidité et le taux de mortalité. Là où des consultations en langue des signes se sont ouvertes (France, Uruguay..), des recherches spécifiques ont pu être menées et tous les indicateurs montrent avant la création de ces consultations, un niveau de soins inférieur à celui de la population du pays. On peut supposer qu'il en est de même en Tunisie.



L'absence de communication en langue des signes dans les services médicaux, principalement publiques, restreint l'accès aux soins aux personnes sourdes à la santé et en limite la qualité et l'efficience.
Cette absence de communication résulte du manque de corps médicaux et paramédicaux formés en langue des signes et de la faible mise à disposition des interprètes en langue des signes pour les consultations.
La faible implication des associations des personnes handicapées dans la problématique et le pauvreté de vocabulaire médical dans les langues des signes pratiquée complique la situation
Enfin cette problématique reste peu connue des pouvoir publics malgré son impacte sur la qualité de vie et les droits des personnes sourdes. Cette situation renforce l'invisibilité générale de cette population.




                1.             WHO. Deafness and hearing loss. Fact sheet N°300. 20152015).
                2.             Stevens G, Flaxman S, Brunskill E, Mascarenhas M, Mathers CD, Finucane M. Global and regional hearing impairment prevalence: an analysis of 42 studies in 29 countries. European journal of public health 2013; 23(1): 146-52. OMS 1948

[2] TRANI JF et al. Le handicap dans les politiques publiques tunisiennes face au creusement des inégalités et à l’appauvrissement des familles avec des ayant droit en situation de handicap. Tunis, novembre 2014.


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